Fête du Travail : l’heure de vérité pour les travailleurs sénégalais
Faites du travail, parlons-en.
En philosophie, en classe de Terminale, on faisait souvent cette analyse : essayer de comprendre si le travail était un fardeau ou s’il était libérateur. Une réflexion qui invitait à penser le rôle du travail dans la vie humaine, dans la construction de la dignité, de la liberté, de l’émancipation. Mais au Sénégal, tout le monde sait que le travail, en tout cas certains emplois, c’est plus qu’un fardeau, c’est une peine, une épreuve. Faites du travail, dit-on. Mais cette fête, cette journée internationale du 1er mai, ne devrait même pas exister dans un pays comme le nôtre. Parce que le Sénégal est très en retard. Drastiquement en retard.
Les droits des travailleurs ne sont plus qu’un souvenir lointain. Dans la plupart des entreprises, les employeurs ne respectent aucune norme, aucune règle, si ce n’est celle de l’exploitation maximale. Ils ne paient pas à temps — quand ils paient. Ils ne cotisent pas pour la retraite. Aucune couverture médicale. Aucune prise en charge sociale. La seule chose qui lie l’employé à l’employeur, c’est une relation de subordination brutale, presque féodale.
Dans bien des cas, l’entreprise devient une affaire de famille où le patron est un roi et les employés des serviteurs à usage limité. L’employeur reste éternellement l’employeur. L’employé, lui, est utilisé, pressé comme un citron, puis jeté quand il ne “sert plus à rien”. Rien n’a changé depuis le temps des plantations coloniales. L’exploitation a juste changé de visage.
Et pourtant, chaque 1er mai, on fait comme si. On célèbre une “Fête du Travail” dans un pays où le travail ne libère pas mais enchaîne, où il ne nourrit pas mais appauvrit. Cette fête devrait être un moment d’introspection, un miroir brutal tendu à notre société. On devrait s’y regarder en face, pour voir les conditions dans lesquelles vivent nos frères et sœurs, ces travailleurs oubliés, humiliés, surexploités.
Souvent, on entend des voix nous dire : “Oui, parlez de notre situation. Nous avons des problèmes.” Et c’est vrai. Mais ce n’est pas juste une question de prise de parole. Ce qu’il faut, c’est du courage, de l’organisation, de la résistance. Car le 1er mai, à l’origine, n’est pas une simple commémoration. C’est le symbole d’un soulèvement, d’un refus collectif face à l’injustice. Des employés maltraités, surexploités, ont un jour décidé de dire non. Ils ont osé. Ils se sont battus. Et ils ont eu gain de cause.
Aujourd’hui, malheureusement, ce courage s’est dissipé. Beaucoup se contentent de se plaindre sans jamais agir. Même si une manifestation était organisée demain pour dénoncer les conditions de travail misérables, on ne verrait pas cent personnes dans la rue. Les autres diraient qu’ils étaient occupés. Occupés à survivre, peut-être. Mais sans résistance, il n’y aura jamais de changement.
Si nous voulons réellement changer notre condition en tant que travailleurs, nous devons faire preuve du même courage que les précurseurs des luttes sociales. Le Sénégal a connu son Mai 68. Il y a eu des batailles. Mais depuis, qu’avons-nous fait de cet héritage ? Rien, ou si peu.
Comment peut-on accepter, dans ce pays, qu’un haut fonctionnaire touche 15 millions par mois, pendant que des pompistes, des vigiles ou des femmes de ménage peinent à réunir 100 000 francs à la fin du mois ? Comment peut-on tolérer que certains emploient des gens à 2 000 francs par jour sans que cela ne choque plus personne ? Cette injustice n’est pas juste économique, elle est morale.
Le Sénégal a besoin d’une révolution du travail. Les travailleurs sénégalais doivent écrire leur propre chapitre de l’histoire sociale. Il ne s’agit plus de commémorer passivement. Il s’agit de se lever, de dénoncer, de s’organiser, de construire un avenir où le travail sera, enfin, un vecteur de dignité et non un instrument de domination.
OPINIONS LIBRES