Édito : Quand l’école vacille, la nation chancelle

Édito : Quand l’école vacille, la nation chancelle
« Subjuguer l’ennemi sans livrer bataille est le summum de l’excellence », écrivait Sun Tzu dans L’Art de la guerre. Il n’imaginait sans doute pas que ses mots résonneraient, des siècles plus tard, dans un pays d’Afrique de l’Ouest où ce ne sont plus les canons qui menacent, mais la faillite silencieuse de l’éducation. Car il n’est plus nécessaire de bombarder un pays pour l’anéantir : il suffit de miner son école. De saper le socle moral sur lequel reposent les générations futures.
Il fut un temps — pas si lointain — où l’école sénégalaise était perçue comme le creuset d’une élite éclairée, un sanctuaire où l’on apprenait non seulement à lire, écrire et compter, mais aussi à se construire en citoyen responsable, imprégné de valeurs, de dignité et de respect. Aujourd’hui, cette noble institution se vide de son essence, glissant dangereusement d’instance de socialisation à lieu de dérive, parfois même de déviance.
Les images récemment captées lors d’une semaine culturelle dans un collège de Ziguinchor, et largement relayées sur les réseaux sociaux, ne sont que les symptômes visibles d’un mal plus profond. Ce qui aurait dû être une célébration de l’identité culturelle et de la créativité intellectuelle s’est transformé en scène d’exhibition, en théâtre de la provocation et de la perte de repères. Il ne s’agit plus d’un cas isolé, mais d’un reflet inquiétant d’une société qui se déstructure sous nos yeux.
Mais peut-on vraiment en être surpris ? Un peuple qui a perdu ses valeurs ne peut espérer que sa jeunesse les invente. Un pays qui glorifie l’ostentation, la facilité, la duplicité et la consommation effrénée ne peut rêver d’une école disciplinée, rigoureuse et noble. Nos jeunes ne font que reproduire, parfois de manière maladroite, souvent de manière inquiétante, ce que nous leur avons transmis — ou ce que nous avons cessé de leur transmettre.
Les insultes publiques, les atteintes aux bonnes mœurs, les spectacles dégradants ne tombent pas du ciel. Ce sont les fruits amers d’une éducation défaillante, d’une société qui a fait de la vulgarité une norme, de l’insolence un style, et du vide culturel un modèle. Le langage ordurier s’invite dans la musique, dans les discours, dans les rues, et même dans les salles de classe. Certains sportifs s’affichent en se réclamant de mafias imaginaires. Des célébrités autoproclamées insultent à longueur de journée et sont portées aux nues. Et puis, on demande à nos enfants d’être sages, respectueux et disciplinés. Quelle incohérence ! Quelle hypocrisie !
Comment expliquer à un élève que ces figures de la déchéance morale ne sont pas des modèles, quand il les voit partout, admirés, suivis, imités ? Comment lui parler d’intégrité, alors qu’il est témoin, au quotidien, de tant d’indignité ? L’enfant apprend d’abord par l’exemple. Il copie ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qui est valorisé autour de lui.
Pendant ce temps, l’école continue de s’effondrer en silence. L’enseignant fait semblant d’enseigner, l’élève fait semblant d’apprendre, l’État fait semblant d’encadrer. Dans certaines écoles, les cours sont transformés en défilés de mode, et la discipline y est perçue comme une oppression. L’autorité a disparu, et avec elle, la transmission des repères fondamentaux.
Il est urgent de dire la vérité, de sortir de la façade, d’arrêter de maquiller l’échec collectif. Il ne s’agit pas de jeter l’anathème sur la jeunesse, mais de reconnaître notre responsabilité d’adultes, de parents, d’éducateurs, de décideurs. Il faut restaurer la mission de l’école : celle de former, d’élever, de transmettre. Redonner à l’éducation sa noblesse, sa rigueur, sa portée émancipatrice.
Car si l’école vacille, la nation chancelle. Si l’éducation échoue, c’est l’avenir qui s’écroule.
PMD
OPINIONS LIBRES